Le plus grand chalutier pélagique du monde arrive en France

Actualité - 17/01/2024

Le plus grand chalutier pélagique du monde arrive en France

Association Bloom
Contre la destruction de l'océan, du climat et des pêcheurs artisans
Une ONG 100% efficace
article du 16 janvier 2023

Chers soutiens, 

Nous aurions aimé commencer l’année en n’ayant rien d'autre à vous exprimer que nos très sincères vœux de santé, de sens et de bonheur avec vos proches… mais quelques jours seulement après avoir quitté 2023, une nouvelle tombait, à peine croyable : le plus grand chalutier pélagique du monde arrive dans le giron de la flotte française. L'année 2024, décrétée “Année de la Mer” par Emmanuel Macron, commence en fanfare !

Le chalutier 'Annelies Ilena' représente tout ce à quoi la pêche du XXIème siècle devrait tourner le dos : un navire-usine de 145 mètres, capable de capturer jusqu’à 400 000 kilos de poisson chaque jour pour le transformer en surimi industriel, au lieu de laisser les poissons "pélagiques" (vivant entre-deux-eaux) contribuer à la santé de l’océan, à nourrir les prédateurs marins, les mammifères, les oiseaux et les pêcheurs artisans, à qui on ne laisse quasiment aucun quota des espèces ciblées par ces gigantesques navires industriels. 

D’ailleurs, lorsque nous écrivons que le navire "arrive" en France, il faut prendre l’expression au sens figuré car ce monstre industriel est trop gros pour pouvoir entrer dans le port de Saint-Malo, où se trouve son futur propriétaire : la "Compagnie des pêches de Saint-Malo". Le chalutier devra donc débarquer son poisson aux Pays-Bas !

Le choix du gigantisme et de la démesure reflète très fidèlement l’orientation funeste de notre gouvernement en matière de protection de l’océan : malgré les promesses, la justice sociale et la santé des écosystèmes marins passent systématiquement après le soutien inconditionnel donné à la pêche industrielle, "quoi qu’il en coûte"

Le nouveau ministre des Affaires étrangères bafoue son propre engagement 

L’arrivée du chalutier Annelies Ilena dans les eaux françaises entre en contradiction directe avec l’engagement pris en juillet 2023 par Stéphane Séjourné, alors chef de file des macronistes au Parlement européen et désigné récemment ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, d’exclure les navires de plus de 25 mètres des eaux côtières françaises. 

Souvenez-vous : en juillet dernier, vous aviez massivement interpellé le groupe ‘Renew’ au Parlement à Bruxelles pour obtenir des engagements pour la protection de l’océan avant le vote de la Loi sur la restauration de la nature.  

Stéphane Séjourné vous avait répondu et avait pris publiquement position pour que les navires industriels (plus de 25 mètres) soient exclus des eaux côtières et cessent de concurrencer de façon déloyale les pêcheurs artisans.  

 
 
 

Aux antipodes de cette déclaration publique, le gouvernement français fait le choix d’accroître la pression sur les écosystèmes marins et les pêcheurs artisans, qui vont subir de plein fouet cette concurrence déloyale. Tout cela pour faire du surimi industriel, rappelons-le. 

Il faut également savoir que l’existence même de l'Annelies Ilena est le résultat de manœuvres politiques et industrielles déplorables.  

L’histoire scabreuse du "navire de l’enfer"

“Ce navire n’aurait jamais dû être construit” : voilà ce qu’écrivit le professeur de biologie marine Callum Roberts sur l'Annelies Ilena dans son magnifique livre The Unnatural History of the Sea (Island Press, 2007), un ouvrage bouleversant sur l’exploitation des océans depuis la fin du Moyen Âge (malheureusement jamais traduit en français). 

L’histoire de ce navire a commencé en Irlande en 2002. Alors nommé 'Atlantic Dawn', il avait un problème de taille : avec 145 mètres de long et une capacité de stockage de 7 millions de kilos de poissons, sa taille colossale lui interdisait l'obtention d'un permis de pêche dans les eaux européennes en raison du plafonnement de la capacité de pêche par pays. Afin de contourner les lois européennes, il a été enregistré en tant que navire marchand et a reçu des licences de pêche temporaires.

Mais limité par les quotas européens, l'Atlantic Dawn ne pouvait pas exploiter pleinement sa capacité de pêche. Un accord a donc été conclu avec la Mauritanie, permettant au navire une exploitation intensive des eaux africaines pendant neuf mois par an. Les Mauritaniens l'ont alors surnommé le "navire de l'enfer" en raison de ses pratiques de pêche destructrices. 

C'est au terme de ce premier accord que l’Atlantic Dawn a été racheté par le géant néerlandais Parlevliet & van der Plas en 2007 et rebaptisé l’Annelies Ilena. 

L’argent public au service de la destruction    

Aujourd’hui, un nouvel accord conclu entre l’UE et la Mauritanie garantit à ce monstre des mers de pouvoir ravager les côtes d’Afrique de l'Ouest jusqu’en 2027. Nous, citoyens européens, payons 57,5 millions d’euros par an pour permettre à 18 méga chalutiers européens, dont l’Annelies Ilena, de piller 225 millions de kilos de poissons par an dans les eaux de Mauritanie. 

Au lieu de protéger l’océan, les animaux marins et le climat, au lieu de soutenir les emplois créés par les pêcheurs artisans, l’argent public est utilisé pour anéantir les pêches vivrières en Afrique et la sécurité alimentaire des pays du Sud, qui en ont le plus besoin face au changement climatique. 

Ce modèle industriel est d'un cynisme abject que nous ne devrions pas tolérer. 

Rapt sur le sauvage et surexploitation en vue    

Ce n’est pas fini. 

Il faut savoir que la Compagnie des pêches de Saint-Malo investit dans ce navire de la honte de 145 mètres pour remplacer un autre méga chalutier, le 'Joseph Roty II’ de 90 mètres. De son côté, Parlevliet & van der Plas, actionnaire de la Compagnie des pêches de Saint-Malo, va faire construire deux navires neufs pour remplacer l’Annelies Ilena.

Des navires gros, puissants, modernes, suréquipés technologiquement, ne laissant pas la moindre chance au vivant : les industriels néerlandais, soutenus par le gouvernement français, ont vraiment décidé d’aller au bout de leur logique d’escalade et de capturer les poissons jusqu’au dernier. C’est ce que dicte leur logique financière d’immobilisation capitalistique : un rendement maximal le plus vite possible. 

C’est folie.  

“Année de la Mer”, 2024, vraiment ?

Alors que le président Emmanuel Macron a déclaré 2024 l’“Année de la Mer”, investir dans l'Annelies Ilena est une véritable honte pour la France

À un an de la conférence des Nations unies sur l’océan qui se tiendra à Nice en 2025, BLOOM appelle le gouvernement français à interdire cette transaction et à engager le démantèlement du Joseph Roty II.

Ce qu’il faut à la France, c’est un changement radical de cap pour mettre en œuvre un plan de déchalutisation des flottes de pêche et de transition vers des pratiques à faible impact. Sur quel ton les scientifiques doivent-ils redire que le climat, l’océan et le vivant ne peuvent plus attendre ?